ÉCRIRE DES MOTS ET PUIS LES DIRE

Le 4 décembre 2017, je suis montée sur scène pour l’Apacom Show pour dire mes mots. Ce gala est organisé chaque année par l’APACOM, association des professionnels de la communication d’Aquitaine. L’édition 2017, sur le thème des 5 sens, avait pour but de recueillir des fonds pour la CIMADE, association œuvrant pour la défense des droits des étrangers.

Pour l’occasion, j’ai écrit un texte qui mêle mes deux passions : les mots et la cuisine ! Il a fallu ensuite dire ce texte, ce qui n’était pas une mince affaire… Cependant, moi qui suis souvent montée sur scène dans une autre vie, dire les mots que j’avais écrits a été un réel plaisir, bien supérieur à ce que j’aurais pu imaginer ! Et afin que ce texte ne se perde pas dans les archives de mon ordinateur, j’ai voulu aujourd’hui le partager.

Le Mot

C’est ici ?
On m’a dit qu’il fallait venir jouer du théâtre… C’est ici que ça se passe ?
Oui ?
On m’a parlé d’un spectacle sur les 5 sens, une espèce de rite initiatique pour les bizuts de l’APACOM… Alors, vous.. me sentez comment ?
Si vous ne sentez pas jusqu’ici, c’est du Chanel n°5 ! Très bon, fleuri, subtil, élégant… tout à fait moi, vous voyez !
Parce que si vous ne me voyez pas, moi je vous vois, surtout vous, vous je vous vois venir.
Vous, ne pensez pas que vous allez me toucher, c’est pas parce que nous sommes si près que… je vous ai à l’œil ! le harcèlement c’est sérieux vous savez ! surtout par les temps qui courent…
Vous m’entendez là-bas ? Je parle assez fort ? Moi je vous sens, je vous ressens
Vous me voyez ? vous me voyez bien ? Là ? et comme ça ? et là ? et là ? car quand on est sur scène, l’important, c’est la lumière !
Ici c’est parfait. Je suis prête. Et vous, vous êtes visiblement prêt.
Car maintenant, vous allez goûter mes mots.

 

Parce que ma spécialité, ce sont les mots …
Oui, je suis boulangère de mots, pâtissière sémantique. J’ai passé mon CAP ! Je façonne les mots, je les pétris, je les assemble, je les agite, je les malaxe, je les manie, je les fais reposer.
Car le mot que je cherche, le mot que j’espère, le mot qui m’habite, c’est le mot qui colle…, celui dont on se souviendra, celui dont on ne se lassera pas, celui de la persistance gustative !
Les mots c’est ma pâte. Les consonnes sont ma farine, oui ! Les voyelles sont mon beurre, elles font le lien. Elle adoucissent. Elles enrobent. La pâte file comme la métaphore, les arômes jonglent entre les assonances et les allitérations sont la croûte dorée qui se forme. Les mots sont chauds, les mots sont tendres comme la brioche qui sort du four. Ils fondent comme le chocolat au centre de la chocolatine encore toute chaude.

 

Moi j’aime tous les mots. Je suis peut-être un peu vanille, mais pas que, j’aime tous les mots !
Les mots acides : ascorbique, suc, citrique,
Les mots qui piquent : titille, asticote, gratouille, embête, taraude, agace, emmerde, pole emploi
Les mots aigres : rupture, trahison, déshonneur, décomposition, moisissure, vianney
Mais aussi,
Les mots moelleux : coton, brioche, mousse, couette, doudou, gaufre, nuage, mouton
Les mots sucrés : compote, chocolat, pêche, abricot, chou à la crème,
Les mots doux : chaton, biche, puce, minou, chouchou, chéri, ma truite, mon calamar, mon loup, mon cœur, mon amour,
Et évidemment les mots piments : passion, désir, chaleur, chaud chaud chaud chaud

 

Et depuis quelques temps, je suis à la recherche du mot. Le mot parfait. Le mot qui colle comme un caramel au fond des dents. Le mot qui reste comme un chewing-gum dans les cheveux. Le mot qui en impose. Le mot qui s’impose.

 

Oui, je suis à la recherche du mot magique. L’aventurière de la syntaxe perdue. Mon beau-père, l’ingénieur, m’appelle la technicienne du nom, mon hypnothérapeute, le célèbre magicien Philippe Souque, m’appelle l’experte de l’appellation, et mes collègues m’appellent la spécialiste du naming.
C’est bien un mot de communicant ça, le naming ! Tous ces mots en -ing, le branding, marketing, storytelling… tu parles d’une histoire, un conte à dormir debout !

 

Et ça peut vous amener à des situations cocasses.
Figurez-vous qu’une fois, on m’a demandé de nommer… une moule ! Je vous la fais rapidement.

– CLIENT : bonjour
– MOI : bonjour, quel est votre problème ?
– CLIENT : je voudrais nommer ma moule
– MOI : nommer votre moule ?
– LE CLIENT : oui, c’est une moule particulière, unique, différente, elle est charnue, d’une couleur subtile, d’un goût inoubliable… je veux que vous lui trouviez un nom à la hauteur de sa valeur
– MOI : vous voulez… que je nomme votre moule ?
– LE CLIENT : je ne veux pas un nom, je veux LE nom, elle est exceptionnelle vous comprenez !
– MOI : votre moule ?
– LE CLIENT : oui, elle est élevée dans ce petit bassin de l’atlantique ouest
– MOI : aaah ! vous me parlez conchyliculture !!!!
– LE CLIENT : oui, quoi d’autre ?
– MOI : non, rien (d’habitude, je m’occupe des huîtres !). Parlez-moi de vos moules ? Quels sont vos objectifs moulesques ? Vos attentes mouléiformes ? Vous avez un media moule planning ? Quel est le ROI attendu, pour vos moules ?
– LE CLIENT : attendez, ça va me coûter cher tout ça ?
– MOI : mmmmh, qu’entendez-vous par cher ?
– LE CLIENT : vous comprenez, j’ai un tout petit budget. Mais je vous promets que ma moule va triompher ! vous aurez une très belle visibilité, cela sera une super carte de visite, le monde entier frappera à votre porte, d’ailleurs, je parlerai de vous à tout le monde !
– MOI: à vos huîtres ?
– LE CLIENT: à tout le monde !
– MOI : évidemment. Client sérieux, méthode sérieuse. (prend le dico) : dites-moi STOP je ferme les yeux ! => Discorde ! Ce sera la « moule de la discorde » !

 

Parce qu’il faut bien le dire, cette recherche du mot parfait est loin d’être un long fleuve tranquille.
Une fois le brief établi, le brainstorming réalisé, les noms finalistes trouvés, la disponibilité vérifiée, il y a toujours la femme du boss, ou le mec de la boss, qui n’a rien à voir avec le dossier, qui ne connaît rien ni les tenants, ni les aboutissants et qui dit : « j’aime pas ».

Et ça, c’est dans le meilleur des cas !
Car le plus souvent… Le doute m’habite.
Le vide, le blanc, le néant, le rien. Je lutte…je rame, je m’acharne puis tout d’un coup une toute petite lumière, le tout début d’une petite bribe d’idée, je la nourris, elle grossit, je lui donne à boire, elle m’emballe, je l’adore, je succombe, elle grandit, elle devient magnifique, immense, éternelle… mais déjà prise !

 

Alors, comment faire ? Comment trouver ce mot parfait, ce mot qui colle, ce mot qui luit, ce mot qui touche…
Devant tant d’incertitudes, j’ai décidé de m’en remettre à la science.
De CAP boulangère de mots, je suis devenue docteur. Docteur en mots. Je soigne par la parole : cataplasmes, décoctions, remèdes, potions, pansements, breuvages.

 

Et ce mot qui prévient les maux, ce mot qui sonne comme une musique à nos oreilles, qui sent bon, et pas que le profit, le mot qui vous touche l’âme et le cœur, le mot qui vous invite au voyage, ce mot parfait, c’est le mot-valise, quand la forme et le sens s’assemblent ! EUREKA !

Les mots en scène

Et si vous êtes curieux de voir ce que ça a donné sur scène, voici une vidéo qui a été réalisée, pas vraiment dans les règles de l’art, avec un téléphone, et les rires en fond, mais qui reste un très joli souvenir.

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